À qui de droit,
Cette lettre est écrite avec une intention bien claire—et avec tout le poids d’avoir vu de nos propres yeux ce qui arrive quand le système de santé arrête de voir la personne humaine devant lui. Ce n’est pas une plainte. Ce n’est pas une attaque. C’est un appel—pour de la responsabilité, pour du changement, et pour ramener ce qui donnait autrefois un vrai sens aux soins de santé : l’humanité.
Cette lettre ne parle pas d’une seule histoire, mais de plusieurs. Elle donne une voix à ceux qu’on a fait taire. Elle parle au nom de quelqu’un qui a souffert—pour rien—dans les derniers mois de sa vie. Même si les faits sont bien réels, cette lettre ne vise aucune clinique, aucun hôpital, ni aucun professionnel en particulier. Elle parle d’un échec de tout un système qui continue d’abandonner et de faire taire ceux qui choisissent une autre voie.
Mon frère a reçu un diagnostic de lymphome et a pris, en toute légalité et de façon bien réfléchie, la décision de refuser la chimiothérapie. Il a demandé, avec respect, s’il y avait d’autres façons d’être accompagné. À partir de ce moment-là, le système a commencé à lui tourner le dos. Les portes se sont fermées. Le soutien a disparu. Les rendez-vous ont été retardés ou refusés. L’accueil est devenu froid. Sa dignité et ses droits ont été traités comme si plus rien n’avait d’importance. Il a essayé, encore et encore, d’avoir accès à des soins, mais chaque fois, il recevait les mêmes réponses : « Rappelle demain », « Le système est en panne », « Aucun rendez-vous disponible ». Le message était clair : si tu ne fais pas ce qu’on te dit, tu ne comptes plus.
Même quand il a pris la décision difficile de demander l’Aide médicale à mourir (AMM), personne n’a répondu. Il n’a même pas pu avoir un rendez-vous pour en parler ou remplir les formulaires. Et quand il a supplié qu’on lui donne quelque chose—n’importe quoi—pour soulager la douleur insupportable du lymphome avancé à la gorge, l’aide qu’on lui a donnée était bien en dessous de ce qu’une personne humaine devrait pouvoir attendre en fin de vie.
Son corps s’est affaibli. Il avait de la misère à respirer. Il a perdu sa voix. Il ne pouvait plus manger. Il s’éteignait devant sa famille. Il a appelé. Il a demandé. Il a crié à l’aide. Et le système est resté silencieux. Au lieu d’avoir accès à des vrais soins palliatifs, on lui a offert des antidépresseurs—comme si, parce qu’il avait choisi une autre option que la chimiothérapie, il était devenu confus ou mentalement instable. Ça ressemblait plus à une punition qu’à des soins. Ce n’était pas de l’aide. C’était de l’abandon.
La triste réalité, c’est que ce n’est pas un cas isolé. Partout dans le système de santé, les soins sont devenus froids, impersonnels, et de plus en plus hors de portée pour ceux qui veulent une autre option. Les appels restent sans réponse. Les patients se font bousculer ou ignorer. Et partout, les mêmes histoires reviennent : de la négligence, des soins en retard, et du mépris envers ceux qui osent poser des questions ou faire un autre choix.
Tout le monde sait maintenant que les compagnies pharmaceutiques ont une grosse influence sur le système. Les primes pour prescrire certains traitements et les protocoles trop rigides passent souvent avant les vrais besoins des patients. Mais les patients ne sont pas des numéros sur une feuille. Ce sont des êtres humains. Et quand les soins deviennent plus une question de suivre le système que de voir la personne, le système arrête de guérir.
Les familles, elles, regardent leurs proches dépérir, sans rien pouvoir faire, pendant que le système lève les bras en disant qu’il ne peut rien faire de plus, et que la souffrance est mise de côté. Mais il y en a qui n’ont pas oublié leur serment. Quand mon frère est arrivé au bout de ses forces, ce n’est pas la clinique qui est intervenue. C’est un seul médecin—qui n’était même pas responsable de son dossier—qui a entendu le cri d’un homme en train de mourir et qui a choisi d’y répondre. On l’a appelé le Samaritain. Il n’était pas obligé d’agir. Mais il l’a fait. Il a écouté. Il a agi vite, enlevant tous les obstacles que le système avait laissés traîner. Il a fait ce que personne d’autre n’avait fait : il s’est présenté quand ça comptait.
Et il n’était pas seul. Avec lui, une petite équipe d’infirmières extra-murales est arrivée—calmes, compétentes, et présentes. Mon frère les appelait les anges. Elles ne l’ont pas vu comme une charge ou un cas de plus à gérer. Elles l’ont vu comme une personne humaine qui méritait des soins. Elles n’ont pas juste fait leur job—elles ont apporté de la chaleur, de la présence, et du réconfort. Elles ont été là avec la famille, dans ces derniers moments, celles qui avaient porté le poids de voir sa souffrance jour après jour. Et en choisissant de rester présentes, elles lui ont redonné ce qu’on lui avait volé pendant si longtemps : de la dignité, du confort, et de la paix.
Mon frère n’est pas mort seul. Il n’est pas mort abandonné. Il est parti en sachant qu’il avait été vu, entendu, et accompagné—grâce à ceux qui ont refusé de tourner le dos.
Alors on pose la question : qu’est-ce qui arrive à un système quand le prix des soins se mesure en argent au lieu de se mesurer en dignité humaine? Les soins de santé doivent revenir à l’essentiel—pas aux papiers, pas aux procédures, pas à l’argent—mais aux gens. Il s’agit de la personne devant vous, effrayée, qui souffre, qui demande de l’aide, et de la famille au bout du fil, qui attend que quelqu’un réponde enfin, qui garde espoir qu’il y a encore des gens qui vont se soucier.
Trop souvent, cet espoir est brisé dès le premier contact—par un ou une réceptionniste qui choisit ses favoris, qui parle avec arrogance, qui raccroche sans prévenir, ou qui laisse les gens attendre pendant des heures au téléphone pour se faire couper la ligne et devoir tout recommencer. C’est facile de devenir déconnecté de la réalité quand on est à l’intérieur du système. Mais pour ceux qui sont dehors—désespérés, inquiets, et en train de supplier pour des soins—ça ressemble à une porte fermée en pleine face, comme si on n’existait plus.
Et même si vous réussissez à passer cette barrière, vous tombez souvent sur un système détaché, qui semble avoir perdu toute sensibilité après avoir vu trop de visages souffrants. Mais malgré tout ça, la vérité reste la même : ces gens-là ont choisi cette profession. Ils ont choisi de se tenir au front, là où les besoins humains sont les plus grands. Et avec ce choix vient une responsabilité : celle d’avoir de la compassion, d’être présent, et de ne jamais laisser la douleur d’une personne devenir juste un dossier de plus, un numéro de plus, ou un problème de plus à éviter.
À ceux et celles qui ont gardé leur humanité—ceux qui sont venus, qui ont écouté, qui ont agi—merci ne sera jamais assez. Vous nous avez rappelé que le titre que vous portez, ce n’est pas juste une ligne sur un papier. C’est une promesse : celle de protéger les plus vulnérables, de respecter la dignité, et de ne jamais tourner le dos à une personne dans le besoin. Vous nous avez montré que l’humanité existe encore dans le monde médical.
Et à ceux qui ont oublié ce que cette promesse signifie, on vous demande maintenant—regardez encore. Prenez le temps de regarder votre certificat sur le mur, et demandez-vous si vous avez vraiment honoré le serment qui vient avec. Pas le titre. Pas la paie. La promesse. Parce qu’au bout du compte, la guérison ne vient pas des politiques ou des procédures, mais de la présence des gens qui apportent de l’empathie, du courage, et de l’humanité quand ça compte le plus.
Et cette lettre est écrite dans l’espoir qu’elle touche le cœur des médecins, des infirmières, des travailleurs de première ligne—et oui, même des réceptionnistes, dont la voix est la première que les patients entendent—pas pour pointer du doigt ou faire honte, mais pour leur rappeler que chaque mot, chaque choix, chaque moment de présence compte. Pour les inviter, tous les jours, à choisir à nouveau—pas pour les politiques, pas pour la paie, mais pour la prochaine personne qui a besoin de se sentir vue, entendue, et pas oubliée.
Sincèrement,
Une voix pour les Silencieux, écrite pour mon frère, dont le courage a donné vie à cette lettre.
(Au nom de tous ceux qu’on a abandonnés pour avoir choisi autrement)