Monsieur le recteur,
Face aux campements de solidarité avec la cause palestinienne qui se sont multipliés dans le monde entier ces dernières semaines, deux voies se sont offertes aux universités : celle de la répression juridique et policière, comme ce fut le cas à Columbia, ou celle de la discussion en vue d’arriver à une entente, comme à Berkeley. Par sa décision de demander une injonction à la Cour supérieure, la direction de l’UQAM a choisi la première. Ce choix nous plonge dans une grande colère, car non seulement il brime la liberté d’expression des étudiant·es, mais témoigne aussi d’un refus total de comprendre les enjeux qui sous-tendent ces mobilisations sans précédent à travers la planète.
Les crimes commis par l’État israélien contre la population palestinienne depuis le 7 octobre 2023 ont amené la Cour internationale de justice, le 26 janvier dernier, à exiger de l’État d’Israël qu’il prenne « toutes les mesures en son pouvoir » pour prévenir la commission d’un génocide dans la bande de Gaza. Plus récemment, la Rapporteure spéciale des Nations Unies pour la Palestine a conclu dans son rapport du 26 mars 2024 « qu’il existe des motifs raisonnables de croire » qu’Israël commet contre les Palestinien·n·e·s de la bande de Gaza des « actes de génocide » traduisant une volonté de « nettoyage ethnique ». Aucun acte, d’aucune nature, y compris les massacres odieux de civils commis par le Hamas, ne peut justifier les atrocités commises par l’armée israélienne depuis le 7 octobre contre la population palestinienne. Ces crimes sont d’ailleurs d’une telle ampleur que, le 21 mai 2024, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a réclamé l’émission d’un mandat d’arrestation contre le Premier ministre israélien et son ministre de la défense pour les crimes contre l’humanité suivants : "le fait d’affamer délibérément des civils", "homicide intentionnel" et "extermination et/ou meurtre".
En outre, bien avant le 7 octobre 2023, de nombreuses instances onusiennes et organisations internationales non gouvernementales ont documenté et dénoncé les crimes commis par l’État d’Israël dans les territoires occupés. Outre la colonisation illégale, mentionnons notamment la spoliation des ressources; les expropriations arbitraires; la ségrégation et la restriction du droit de circuler; les punitions collectives infligées à la population civile, dont des démolitions de maisons et d’infrastructures civiles; les déplacements forcés et massifs de populations; l’emprisonnement de milliers de prisonnier·ère·s politiques, dont une proportion alarmante de mineur·e·s; l’usage de la torture ou d’autres formes d’actes inhumains et dégradants causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de la population palestinienne. Selon les rapports de deux Rapporteur·e·s spéciaux de l’ONU (2014 et 2022), d’Amnistie internationale (2022) et de Human Rights Watch (2021), plusieurs de ces crimes relèvent d’un crime d’apartheid, lui-même constitutif d’un crime contre l’humanité en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ces crimes contre l’humanité, commis par l’État israélien avec la complicité de plusieurs États dont au premier chef les États-Unis, se déroulent sous nos yeux et nous concernent toutes et tous en tant qu’humain. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
Dans un tel contexte, le 29 novembre 2023, les universités palestiniennes ont lancé un appel unifié à ne pas rester « silencieux face au génocide israélien en cours ». En outre, depuis 2005, un large regroupement d’organisations de la société civile palestinienne appelle la communauté internationale à boycotter l’État d’Israël ainsi que les entreprises israéliennes complices de l’occupation et de la colonisation.
En conséquence, Monsieur le Recteur, nous, signataires de cette lettre, unissons nos voix pour appuyer les revendications des étudiant·e·s du monde entier qui, comme à l’UQAM et à McGill, occupent pacifiquement leur campus pour demander à leur université de rompre tout lien institutionnel avec les universités israéliennes et tout lien financier avec des entreprises complices de l’occupation et de la colonisation israélienne.
Nous vous demandons :
1- de respecter le droit de rassemblement et d’expression de tou·t·e·s les membres de la communauté uqamienne, et donc de ne pas faire appel aux forces de l’ordre pour déloger les personnes qui manifestent pacifiquement sur les campus universitaires;
2- d’abandonner la demande d’injonction contre le campement et les associations de l’UQAM;
3- de négocier de bonne foi avec les étudiant·e·s installé·e·s dans le campement du Cœur des sciences, afin d’en arriver à une entente.
Leila Celis, professeure au département de sociologie de l’UQAM
Paul Eid, professeur au département de sociologie de l’UQAM
Bruce Broomhall, professeur au département de sciences juridiques de l’UQAM